Les Années Quillan

 

Débarrassé de l’encombrante Commission, l’amateurisme marron vit ses plus belles heures. Quillan, 3 000 habitants au compteur, mais un président-mécène Jean Bourrel prêt à toutes les folies pour s’attacher la meilleure équipe possible en devient le symbole majeur. Pour le chapelier Jean Bourrel, l’équation est simple: « Je suis certain d’avoir plus de publicité commerciale en montant une équipe pour le titre de champion de France, qu’en placardant des affichettes dans la région >>

Alors que la saison précédente, Quillan avait été déclassé par la Commission pour un racolage un peu trop ouvert. Plus personne ne semble s’étonner de voir en 1926 débarquer d’un seul coup pas moins de 7 joueurs de l’US Perpignan champion 1925 et finaliste 1926 dans le petite commune de l’Aude. Le groupe se renforce encore de 5 joueurs internationaux l’année suivante.

Évidemment, cette politique ne tarde pas à porter ses fruits. Finaliste en 1928, I’US Quillan remporte le titre de Champion de France la saison suivante contre le voisin Lézignanais, L’aventure de Quillian se termine au terme de la saison 1930 après un nouvelle place en finale sans que la Fédération ne relève la << moindre irrégularité ». Jean Bourrel rend la liberté à ses mercenaires. Il déclare le plus tranquillement du monde « J’ai décidé de limiter les frais qu’occasionne l’entretien de notre équipe«< . Quels frais ?

Ce professionnalisme de moins en moins voilé s’accompagne d’une montée des violences. Les arbitres en font souvent les frais, les matchs ressemblent parfois plus à des bagarres de rues et lorsque les rivalités locales s’y mêlent… En 1927, les retrouvailles entre perpignanais et leurs anciens collègues passés sous pavillon audois se déroulent dans une atmosphère de haine. Gaston Rivière, talonneur de Quillan, y trouve la mort. Le rugby de muerte, littéralement.

Lors de son congrès 1927, la FFR inaugure un nouveau règlement dite << Loi de deux ans » qui doit mettre un point final au problème du racolage, chaque muté devant désormais patienter deux ans avant de disputer la moindre rencontre officielle avec sa nouvelle équipe. La nouvelle réglementation pour arbitraire qu’elle soit met un coup d’arrêt au racolage industriel. Surtout, la FFR s’évite de voir apparaître de nouveaux Quillan.

US Quillan Championne de France 1929

US Quillan Champion de France première division 1929

Amateurisme marron

 

Si le racolage est enrayé, l’amateurisme marron perdure et les brutalités sont encore à l’ordre du jour. Lors d’une demi finale du championnat 1930 entre Pau et Agen, le jeune (18 ans) ailier agenais Michel Pradié succombe à son tour sur un terrain de rugby. Certains clubs comme Lézignan jouisse d’une renommée particulière en la matière. A l’arrivée en gare, on peut y entendre << Lézignan… La Matraque… Tout le monde descend ». Les arbitres y sont conviés à visiter un cabanon, dans lequel traîne un squelette sensé être celui d’un de leur collègue. Bref, on se marre… La Fédération propose l’automatisation des sanctions en cas de brutalités pour tenter d’endiguer les violences.

Ce contexte vicié poussent de nombreux joueurs à délaisser l’ancien sport roi. Les effectifs de la fédération chutent de près d’un tiers passant à 564 clubs en 1932.

Le temps des dissensions

 

Confronté à une fédération qui semble réagir de manière erratique aux grès d’événements qu’elle ne fait que subir, le rugby français se déchire entre militants de l’amateurisme intégral, et partisans du status- quo, A ces deux camps, s’ajoutent quelques – encore – timides voix pour porter l’idée d’un professionnalisme ouvert et affiché. A ces positions s’ajoutent également des intérêts particuliers qui parfois permettent de justifier tout et son contraire.

La Fédération Française de Rugby étant incapable d’opérer un choix décisif entre ces différentes approches. Certains cherchent à s’affranchir d’elle pour imposer leur propre vision de ce que doit être le rugby français, Une première alerte éclate du côté du Pays Basque en 1927 lorsque Fernand Forgues fait craindre un temps une scission de son Comité de la Côte Basque afin de rompre avec la championnite aiguë de ses pairs et d’opérer un retour à l’amateurisme.

Deux ans plus tard, c’est au tour de six sociétés, toute championne de France (Stade Bordelais, Stade Français, Section Paloise, Aviron Bayonnais, Stade Toulousain et US Perpignan), de demander également la suppression du championnat. Ces six deviennent rapidement douze, puis quatorze et devant le refus de la FFR de céder à leurs exigences, fondent en dehors des structures fédérales L’Union Française de Rugby Amateur (UFRA), le premier schisme de l’histoire du rugby français.

 

L'UFRA les derniers chevaliers de l'amateurisme au rugby

L’UFRA les derniers chevaliers de l’amateurisme au rugby

Le scission ne dure que deux saisons, mais les schismatiques ont le grand tord de porter la polémique là où elle n’aurait jamais dû l’être, chez les Homes Unions Britanniques. Trop heureuses, de se faire servir sur un plateau un prétexte en or pour exclure les turbulents continentaux, les fédérations britanniques annoncent le 3 mai 1931 la rupture des relations avec la FFR.

Alors que la rupture avec les Homes Unions n’est pas encore consommée et que l’UFRA s’apprête à réintégrer la Fédération, on annonce du côté de Lézignan et de Narbonne la création d’une très éphémère << Ligue du Midi ». S’il s’agit surtout de faire pression sur la fédération pour qu’elle revienne sur la suspension de leurs capitaines respectifs, il s’agit également de manifester que – Britanniques ou pas, retour des UFRAIstes ou non-, l’existence même du championnat ne pourrait jamais être remise en question, et ce sous aucune circonstance.

Après les partisans de l’amateurisme, puis ceux du status quo, c’est au tour de ceux du professionnalisme ouvert de se manifester et cette fois-ci de manière définitive. Le 31 décembre 1933, la première rencontre de rugby dit professionnel entre treizistes australiens et anglais se déroule sur la pelouse du Stade Pershing à Paris. C’est le grand début du rugby à XIII sur le contient qui trouve dans les innombrables querelles du rugby français un terreau extrêmement favorable à son futur enracinement.

Le sabordage en chantant

 

Dès l’annonce de la rupture des relations avec les Britanniques, la seule politique, la seule ligne directrice de la Fédération devient celle de l’accommodement. Amadouer, tempérer, tenter de prouver de sa bonne foi et retrouver les grandes rencontres internationales du Tournoi. Ce sera chose faite uniquement en 1939, et au prix de son propre sabordage,

Les partisans – déjà nombreux – de la suppression du championnat redonnent alors de la voix.

Père de tous les vices (professionnalisme, chauvinisme, brutalités…), pour eux, il doit être sacrifié pour recevoir le pardon des maîtres britanniques. Il n’y a pas d’alternative.

Déjà, en 1929, alors que les Britanniques avaient prévenu une première fois leurs obligés français de leur mauvaise attitude, le Président de la FFR Octave Léry – qui pourtant jusque là avait un grand défenseur du championnat  en propose la disparition remplacé par une compétition inter-comités. Il n’est pas suivi par le conseil, tous les comités rejetant la proposition à une exception près (le Berry), Ce qui provoque la démission de Léry, remplacé par Roger Dantou présenté comme un pro championnat inconditionnel.

Octave Léry rejoint alors la cohorte des anti-championnats: << Depuis quelques années nous avons fait du spectacle et non du sport. >> Le championnat déchaîne une telle passion que chaque rencontre est menacée de se terminer par une catastrophe. Le niveau de nos joueurs a baissé, la qualité du jeu régresse>>

Article de presse sur Jean Galia

Tandis que les partisans de la disparition se renforcent, la Fédération croit pouvoir se jouer des Britanniques. Elle donne des gages en radiant tel ou tel pour des raisons plus ou moins obscures. Cette politique n’y fait rien, et ne fait que croître le nombre des mécontents qui feront bientôt les joies du néo-rugby. Citons à titre d’exemple Jean Galia radié en janvier 1933 pour une curieuse affaire de télégramme.

Ainsi, le scénario se rejoue chaque saison la Fédération croit (ou feint de croire) qu’elle a prouvé sa bonne foi et sa volonté de combattre brutalité et professionnalisme. On annonce, que peut-être, éventuellement, cette saison, ce serait la bonne, que les Britanniques seraient prêt à reprendre les relations bilatérales. Mais chaque saison, la FFR se heurte au même refus, quand il ne s’agit pas d’un silence gêné.

 Article de presse sur Jean Galia

Les rencontres face à l’Allemagne, la Roumanie ou l’Italie ne sont qu’un bien faible palliatif aux anciennes rencontres du Tournoi, et ainsi le nombre de partisans de la suppression du championnat – de cœur ou de raison – grandit chaque saison et finit par être majoritaire. Le 26 mars 1939, après quinze ans d’effort, les pro-suppression ont gain de cause. Le Comité directeur de la FFR vote la suppression à l’unanimité moins une voix. Le championnat à vécu, remplacé par un tournoi entre 8 grandes ligues régionales, ramenées à six dans un second temps.

Docteur Louis Bézian

Docteur Louis Bézian

Dernier des Mohicans, le Dr Bezian (Côte D’argent) prend la tête des dernières troupes anti-suppression. Il dresse un réquisitoire contre la décision du comité directeur. Il fait notamment valoir – non sans raison – que la suppression n’est ni une exigence des Britannique à la reprise, ni une garantie. Il se fait également écho des peurs des petits clubs dont les recettes risquent de s’effondrer. Mais c’est trop tard, le conseil de la FFR entérine le projet par 315 voix contre 154. Les ligues régionales sont libres de former les compétitions qu’elles entendent. Par exemple, la Ligue du Sud-Est (Roussillon, Languedoc, Provence, Alpes et Littoral) opte pour un championnat à 8 en match aller-retour.

Huit ans après la rupture unilatérales des relations. Après des années d’abnégation, jusqu’au au sacrifice suprême, celui du championnat, la FFR obtient la seule chose qu’elle n’a jamais désirée depuis 1931: la reprise. La Fédération et son nouveau président Albert Ginesty peuvent pérorer à leur victoire. Aujourd’hui, nous savons que cette décision doit beaucoup au contexte politique de l’époque et aux efforts diplomatiques de part et d’autre de la Manche.

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. La reprise attendra encore quelques années. Sans maître à plaire, le championnat, lui, reprend ses droits en 1942. Les beaux discours justifiant la mise à mort du Championnat n’ont jamais existé. L’amateurisme marron, les brutalités, le racolage n’ont jamais existé.

 

Source (1) : Rugby Pro, Histoire Secrètes, R. Escot
Source (2) : Histoire Mondiale du Rugby, Henri Garcia
Source (3) : French Rugby Football, A Cultural History, P. Dine
Source (4) : Retronews, Gallica

A suivre partie 3/3