La Première Finale de l’US Quillan
Quillan Rugby
Jean Bourrel le « Patron »
Une grande figure de la haute vallée de l’Aude : Jean Bourrel
D’après la revue municipale d’Espéraza, consultable sur www.esperaza.com.
Bien qu’il ait consacré la majeure partie de son existence à la ville de Quillan, Jean Bourrel n’en demeure pas moins un pur Espérazanais puisqu’il naquit à Espéraza le 11 novembre 1886, fils de l’industriel Jean Baptiste Bourrel et de Mathilde Barbaste son épouse.
Jean Bourrel, patron et mécène de l’US Quillan
À l’issue de solides études, il fera tout naturellement son apprentissage dans l’entreprise familiale à Espéraza (actuels établissements Monblason) où l’usine Bourrel frères occupe une place importante parmi les manufactures de chapeaux qui font alors le renom de la haute vallée de l’Aude. Après son mariage à Gincla, en 1912, et la tourmente de la Grande Guerre, Jean Bourrel est appelé par le directeur propriétaire de l’usine Huillet et Lasserre à Quillan (créée en 1908) afin de relancer la production chapelière de cet établissement récemment ravagé par une crue dévastatrice de l’Aude.
Homme dynamique et remarquablement organisé, gestionnaire rigoureux, doté d’un physique de géant, Jean Bourrel qui est devenu propriétaire de l’usine à la mort de M. Lasserre en 1922 va impulser un élan novateur à son entreprise qui, avec la célèbre marque « Thibet », conquiert très vite un marché national et international.
En quelques années, Jean Bourrel va organiser et agrandir ses bâtiments de production qu’il relie par un pont de fer au centre de Quillan (le fameux « pont Suzanne », portant le prénom de sa fille, inauguré en 1928, lors du passage du président de la République Gaston Doumergue).
À leur apogée, les établissements Jean Bourrel vont employer une main-d’œuvre de quelque 1200 ouvriers, se situant dans le peloton de tête de la chapellerie audoise et concurrençant sérieusement les manufactures d’Espéraza.
Pendant la difficile période de l’occupation, Jean Bourrel va s’efforcer de maintenir une activité maximale, se reconvertissant dans la fabrication de semelles de bois et A l’élaboration d’une « laine de genêt » destinée au tissage.
À la fin des années 40, l’industrie chapelière est en phase déclinante et la mort de Jean Bourrel, le 16 octobre 1949, va précipiter la chute de son entreprise. Toutefois, grâce à l’action de plusieurs personnalités locales, dont l’espérazanais Paul Barrière, les bâtiments de l’usine J. Bourrel pourront être repris par le consortium anglo-américain De La Rue qui y implante une unité de fabrication d’agglomérés synthétiques.
C’est ainsi que les établissements Formica prennent la place de l’ancienne chapellerie, utilisant la main-d’œuvre locale et enrayant le chômage qui menaçait la commune d’asphyxie.
Après une embellie de plusieurs décennies, l’usine Formica fermera à son tour ses portes en juin 2004.
Jean Bourrel ne fut pas qu’un brillant industriel. Il a laissé son nom dans la vie politique quillanaise puisqu’il succéda comme maire à Eugène Fonquerne le 17 mai 1925 et, quelques semaines après, devint conseiller d’arrondissement. Le 14 octobre 1928 il était élu conseiller général, succédant au maire de Fa, l’intendant militaire Pierre Sire qui se présentait à la députation.
Lors des grèves du printemps 1936, Jean Bourrel se trouva pris en porte à faux entre ses fonctions d’élu, son rôle de patron et les lois sociales édictées par le gouvernement du front populaire. Représentant du patronat dans l’Aude et en désaccord avec certaines directives officielles, il préféra démissionner de son mandat de maire. Il demeurera toutefois conseiller général, charge qu’il conservera jusqu’en 1940.
A la mairie de Quillan, qu’il avait administrée onze années, il sera remplacé par Antoine Filaire, inspecteur des douanes à la retraite, originaire de l’Allier et qui était entré au conseil municipal en 1935.
Enfin, n’oublions pas que Jean Bourrel fut aussi, durant de nombreuses années, l’enthousiaste et entreprenant président de l’Union Sportive Quillanaise dont l’équipe de rugby à XV sera championne de France en 1929. Jean Bourrel était chevalier de la légion d’honneur depuis 1928.
Le stade de Quillan ainsi que le boulevard du centre ville portent son nom.
En route vers les 3 finales
Pour tenter de mettre un frein à la violence sur les stades, la Commission des Qualifications adopte le 22 juin 1924, un règlement draconien
qui prévoie de sévères sanctions.
Mais de nombreux et fâcheux incidents continuent à émailler les matchs, dépassant parfois les limites du tolérable.
Plusieurs rencontres sont demeurées dans les mémoires. A la Pépinière, lors d’un match décisif pour la qualification aux demi-finales en 1923, les équipes de Carcassonne et de Toulouse s’affrontent violemment, l’arbitre est frappé sur le terrain et menacé à la sortie. Après la terrible finale de 1925 à Toulouse qui opposait Perpignan à Carcassonne, un journaliste Géo André écrivait dans le Miroir des Sports: “Le jeu carcassonnais fut horrible! Les jaune et noir ressemblaient à ces guerriers francs qui nouaient leur chevelure pour mieux combattre. Cette finale ayant donné un résultat nul fut rejouée une semaine plus tard à Narbonne dans une ambiance franchement hostile qui ressemblait à certains jeux de cirque de l’époque romaine. Perpignan l’emporta par 5 à 0, au terme d’une partie où tous les mauvais coups furent permis; il y eut autant de batailles sur le terrain qu’autour.
A cette époque, Quillan rêve de gloire! C’est à ce moment là que le célèbre industriel audois originaire d’Espéraza Jean Bourrel décide de constituer une grande équipe. Cet homme, par sa ténacité et sa grande volonté, fera de Quillan la capitale du rugby français. A la tête d’une florissante entreprise de chapeaux Thibet, il en a les moyens et compte en faire profiter son projet. D’ailleurs, il déclarait: “Je suis certain d’avoir plus de publicité en disputant le titre de Champion de France qu’en placardant des affiches”.
Equipe de l’Union Sportive Perpignanaise; certains joueurs rejoindront l’US Quillan
Cutzach, Bonnemaison, Darné à l’ US Perpignan
Bonnemaison, Cutzach, Baillette à Quillan
Avril 1927 à Paris au stade Jean Bouin contre le CASG
Au Stade de Colombes l’US Quillan avant son match contre GASG
Assis Baillette Destarac Bastoul Cutzach Delort Boreil Ribere Bomat
Debout Lacour Delmas Reynaud Barbazange Rière Bonnemaison Soler Seguier Galia Roca
La relève est faite avec des éléments locaux et catalans qui vont entreprendre une rapide et glorieuse ascension. Les succès s’enchaînent: la montée en Division d’Honneur où l’US Quillan fera bonne figure et surtout en l’an 1926 où elle accède enfin en Excellence “nom donné au plus haut niveau de l’époque”.
Profitant cette année là de la mésentente entre les dirigeants catalans Marcel Laborde et Gilbert Brutus, après la finale perdue contre le Stade Toulousain, Jean Bourrel fait venir à Quillan sous prétexte de travail dans son entreprise, un grand nombre de joueurs de l’US Perpignan. D’un seul coup, la majorité de l’équipe, dont les internationaux Ribère, Baillette, Montade, les futurs tricolores Cutzach, Soler et Galia (plus tard pionnier du XIII), l’excellent Delort passent avec Gilbert Brutus à l’US Quillanaise. Les rejoignent le carcassonnais Raynaud et le tarbais Destarac.
L’affaire secoue tout le petit monde de l’ovale, mais la Fédération Française de Rugby ne s’émeut pas de telles pratiques et voilà enfin Quillan au plus haut niveau.
Ci-contre, une composition d’Equipe
Perpignan-Quillan
Le match Perpignan-Quillan du 20 mars 1927, se prépare dans une atmosphère hostile. Les esprits s’échauffent dans la capitale du Roussillon qui s’apprête à recevoir les “traîtres” comme ils aiment les appeler, des couleurs sang et or. Le match sent la poudre et c’est vraiment une ambiance mortelle; elle sera malheureusement au rendez-vous.
Les chocs sont durs. Soudain, une mêlée s’effondre et un homme ne se relève pas. C’est le talonneur de Quillan, Gaston Rivière. On le transporte sur une civière hors du terrain, sans connaissance. Tout de suite, une ombre maléfique passe sur le terrain; la partie reprend , traumatisés par le drame, les quillanais seront emportés par l’ogre catalan 22 à 3.
Transporté à la clinique, Gaston Rivière, victime d’une fracture de la sixième vertèbre meurt deux jours plus tard, entouré de sa femme, de sa fille, de Jean Bourrel et de tous les joueurs quillanais, il avait à peine vingt-six ans. L’arbitre, M. Liaunet, rédige un rapport qui stipule que cette mort est accidentelle.
Probablement! Mais un tel accident n’aurait jamais du se produire si le climat n’avait été aussi malsain. D’ailleurs, le journaliste de l’Auto l’écrivit: “Journée d’inimaginable fièvre, d’orage et de bataille, qu’un terrible accident a fait tourner au drame. Sombre fatalité, car il n’y a rien de plus lamentable et d’aussi cruel que ces luttes fratricides et, c’en était une, dans toute l’horreur du terme. Il n’aurait pas fallu qu’on permette cela”. Dans cette permanente guerre des clochers, l’US Quillanaise poursuit son ascension…
La première finale.
Carrière vertigineuse, comparable à celle de ses rivaux catalans “Les Quins”.
Cinq saisons ont suffi à l’équipe des “Chapeliers” pour passer, presque sans transition de la 2 ème série à la finale du Championnat de France Excellence. Gagnants du titre du Languedoc 2 ème série, les quillanais passent en 1ère série (Division d’Honneur” en 1924-1925, où ils se trouvent d’ailleurs en bonne compagnie avec Montpellier, le CA Biterrois et les fameux Quins dont la poussée commençait.
Battus pour le titre régional, ils réussissent l’année d’après à conquérir le précieux trophée de haute lutte, ce qui leur vaut la place dans le septuor des as d’Excellence Languedociens.
C’est à ce moment là que Quillan a le rare bonheur de trouver un mécène généreux et sportif qui sait concilier les intérêts commerciaux de son réputé chapeau Thibet, avec le bien être des joueurs de rugby. Rapidement, grâce à M. Jean Bourrel, aidé par MM. Carbonneau et Costel, une équipe de grande classe fleurit dans notre pittoresque village de la Haute Vallée de l’Aude.
Des étoiles qui ont nom Ribère, Baillette, Raynaud, Destarac, Cutzach viennent renforcer le team quillanais qui déjà comprenait Bonnemaison, Bobo, Parnaud et, de ce fait, c’est la plus belle constellation française réunie dans le même club.
L’équipe de Quillan n’est pas à proprement parler une équipe d’amateurs, Jean Bonnet témoignait alors comme étant le seul quillanais de l’équipe. Ce trois-quarts aile était le seul à ne pas travailler chez le “Patron” comme les autres. Il était employé chez son père à la forge familiale et le président de l’U.S. Quillan n’hésitait pas à payer un ouvrier pour qu’il puisse le remplacer à l’occasion de tous les matchs et déplacements qui en découlaient.
L’entraînement physique était intense: quatre entraînements par semaine, deux sur le terrain, deux en salle avec Gilbert Brutus comme coach qui réglait tout minutieusement. L’hygiène de vie était digne d’un grand sportif, pas de tabac et seuls les bons repas payés par Jean Bourrel étaient tolérés.
Jean Bonnet reconnaissait quand même que l’équipe parlait plus le catalan que l’occitan ou le français. Jean Bourrel s’occupait des déplacements et remettait une enveloppe (250 f mensuels pour Jean Bonnet) et imposait aux joueurs le port du chapeau avec pour rôle de l’offrir dans les différentes rencontres. Le couvre-chef différait selon les clubs rencontrés.
Il est vrai que Jean Bourrel faisait bien les choses: outre les Catalans recrutés, il va encore chercher le pilier Flamand. S’il est vrai que l’US Quillanaise est une équipe créée de toutes pièces par Jean Bourrel, il n’en est pas moins certain qu’elle possède le mérite d’être une véritable académie du jeu. Au milieu de tant de folie et de violence gratuite, c’était vraiment à mettre à la gloire de Quillan.
La grande épopée de cette belle équipe.
Après un mauvais Championnat du Languedoc, dû en majeure partie au manque flagrant de cohésion, Quillan affronte le Championnat de France en pleine possession de ses moyens et se place parmi les favoris de la compétition.
Malheureusement, un pénible accident de jeu oblige les quillanais à abandonner leur tâche alors qu’ils étaient quart de finalistes, terminant prématurément leur saison sans avoir démérité. La saison 1927-1928 est pour Quillan une période de gloire. Partis lentement et bien qu’ayant frisé d’un rien l’élimination, nos Chapeliers se qualifient pour les quarts de finale du Championnat de France. Dans leur poule de quatre, ils battent les Quins, Hendaye et font match nul avec Lourdes, ce qui les classe bons seconds.
La demi-finale jouée à Toulouse, voit le triomphe de grande allure quillanaise sur le jeu méthodique et sobre des toulonnais. Quillan l’emporte nettement après une fort belle partie sur le score de 13 à 0. C’est enfin la grande finale! D’autres pronostiquaient Pau victorieux par une marge importante. L’équipe de Jean Bourrel leur infligea un formel démenti. Elle ne fut battue que par 6 à 4 par les virtuoses palois que les sportmens lyonnais ont admirés. C’est une référence remarquable à l’actif de nos renommés représentants. La finale se jouait au stade des Ponts Jumeaux à Toulouse le 6 mai 1928 sous la houlette de M. Marcel Heurtin.
Film du match : Il faisait un temps très lourd et l’U.S. Quillanaise se montra dangereuse en début de rencontre. Ses ailiers furent repris devant la ligne paloise, la domination du pack audois fut ainsi concrétisée à la 20ème minute par un drop de Cutzach, pourtant touché par un choc violent quelques instants plus tôt et dont il allait se ressentir tout au long de la rencontre. Les Béarnais réagirent et Sarrade ponctua une offensive au milieu des poteaux. Aguilar, pourtant buteur régulier, rata la transformation élémentaire. Le vent avait tourné cependant ; collectifs, animés par une 3ème ligne dynamique, les hommes de la Section Paloise accentuaient leur emprise et prenaient l’avantage.
Sur une prise de balle en touche de Cazenave, une offensive des arrières rebondit à l’intérieur sur Récaborde qui marqua entre les poteaux. Aguilar rata encore la transformation, soulevant le courroux de son capitaine. A la mi-temps, le score était acquis, 6 à 4. La seconde période, les Quillanais durent la disputer avec sept avants. Quelques pointes de Galia, Destarac et Baillette semèrent le trouble dans les rangs béarnais. Mais, le pack palois était supérieur et contrôlait la situation, bien soutenu par la bonne défense au pied de Sarrade et de Mounes. La marge était certes étroite et Cazenave eut le bonheur pour l’équipe paloise de contrer une tentative de drop de Cutzach. De ce match, un peu terne au dire de certains, la Section Paloise sortait pour la première fois Champion de France. Pour les vaincus, les spectateurs avaient remarqué le discret mais efficace Montassić. Au-delà de la déception, il y avait peut-être des raisons d’espérer.
Le 4 octobre 1928…
Dans le journal d’information “Midi Sportif”, un chroniqueur contait l’aventure d’un certain Marius de Bernequo qui, descendant en auto la ravissante vallée de l’Aude, eut une panne de voiture en face du stade de Quillan. Laissant son chauffeur se débrouiller avec le moteur récalcitrant, il pénétra dans le stade où il eut tout le loisir de passer une heure dans les tribunes juste au moment où commençait l’entraînement de l’US Quillanaise.
Voici le récit que ce spectateur inattendu fit dans une lettre à son compère, un dénommé Concaril: “J’ai compté vingt-neuf joueurs ce jour là, tapant de grands coups de pied. Des coups placés sont essayés à tous les points: les ailiers font des déplacements au pied d’une touche à l’autre. Cela dure vingt minutes. Un coup de sifflet et les voilà rassemblés en carré, les bras étendus.
La leçon d’éducation physique commence; mouvements parfaitement exécutés entretiennent chez ces athlètes une souplesse étonnante. Le pilier Delort lui-même rendrait des points à une danseuse. Vingt minutes après, c’est le rugby. Ah, là ça barde. Ribère s’occupe de deux groupes d’avants, ici mêlée, ça dribble, mêlée ouverte, touche, départs entre avants… Plusieurs combinaisons sont exécutées, les maillots se mouillent Bigot et Galia font grosse impression. Le demi de mêlée se fait secouer. Delort, frais comme un bébé joufflu ne donne aucun signe de fatigue. Il y a quelques poids lourds qui se posent un peu là, je ne voudrais pas qu’ils prennent mes pieds pour un trottoir.
A l’opposé du terrain, je m’aperçois que les trois-quarts ne sont pas restés inactifs. Combien de fois ont-ils traversé le terrain en passes rapides, croisements, déplacements au pied, puis sont venus rejoindre le pack avec qui ils font des départs à toute vitesse. Ca va vite, boudiou que ça va vite! Tout seul, Lladères, dans un coin, essaie des buts en attendant Destarac. Ce doit être la fin, voilà les lévriers des lignes arrières qui vont prendre une douche bien chaude avant de se livrer aux mains expertes du masseur Roca. Non, les avants restent encore! les voilà groupés contre un jouc à ressorts où ils étudient le mécanisme de le mêlée. A droite, à gauche, chaque fois les ressorts plient. Et maintenant, voilà une heure que cela dure. Les avants vont à leur tour à la douche. Seul, Delort se paye trois tours de terrain en souplesse et avec le sourire. Il termine frais comme une rose, comme tous ses camarades d’ailleurs. Et voici les athlètes qui portent les couleurs rouge et bleu, et je vous assure que cela constitue un très beau matériel qui résistera à tous les assauts. On a l’impression que l’U.S. Quillanaise sera cette saison un très gros morceau. Ceux qui s’y frotteront s’y piqueront”.
Il ne croyait pas si bien dire..