Le rugby de clocher, les Anglais ne l’ont jamais aimé.

 

Et les Français ont tout fait pour leur donner raison dans les années 1920 alors qu’ils se passionnaient pour le rugby. Mais mal. Ils se rendaient, bien sûr, aux matchs de l’équipe de France, mais l’ambiance était délétère, souvent violente.

 

Le 1er janvier 1927, par exemple, lorsque l’Irlande vint battre la France à Colombes: les spectateurs s’en prirent à l’arbitre écossais, qui dut finalement son salut à la police. Il y avait récidive. Le 1er janvier 1913, l’Écosse avait en effet déjà coupé les ponts avec la France pour une histoire semblable, refusant pendant sept ans de rencontrer les Français: la France battue au Parc des Princes, la foule s’en était pris très violemment à l’arbitre anglais, la police étant intervenue trop tard.

Un France-Angleterre de 1929 se passa ensuite très mal et la France reçut un avertissement des fédérations britanniques. Et puis, il y eut les gnons et les débordements de trop en 1930 pour un France-Galles à Colombes, devant 45000 spectateurs chauffés à blanc pour assister à une possible première victoire de la France dans le Tournoi.

Les services d’ordre furent renforcés, ceux qui n’avaient pu avoir de place furent refoulés, les grilles furent enfoncées par les supporters, mais 10 000 restèrent quand même dehors.   Sur le terrain, c’était du vilain rugby et le pays de Galles l’emportait. Mais l’arbitre anglais avait refusé un essai à l’ailier français et la foule s’en prit à lui, comme d’habitude.

 

 

Cette hystérie, les Britanniques ne la supportaient pas et, en matière de rugby, ne la supporteront jamais.

Terminé. La France est virée. Plus aucune rencontre avec les nations anglo-saxonnes, celles du Tournoi comme les dominions. Les Blacks et les Boks feront des tournées en Europe dans les années 1930 sans jamais passer par la France.

 

Castagne dans le championnat.

Cette rage n’était malheureusement rien à côté des ambiances viciées du championnat français.

Deux grandes régions dominaient le rugby à la fin des années 1920, les Pyrénées et le Languedoc.

Chaque ville, chaque village voulait son équipe pour jouer le championnat. Devant l’engouement, la fédération, jamais avare d’une idée pour mettre le feu aux poudres, organisa des championnats régionaux qualificatifs pour le championnat de France.

Bingo avec des matchs de barrage pour les changements de division! Les clubs se battaient à mort pour monter en première division et avoir le droit ensuite de disputer le vrai championnat de France.

 

 Une incitation à la castagne.

Dans le Languedoc, c’était furia et bourre-pif tous les week-ends, chauvinisme et baston derrière chaque église. Carcassonne avait une abominable réputation, les joueurs y insultaient les arbitres, les cognaient parfois quand ils en avaient fini avec l’adversaire.   La fédération prit quelques timides sanctions, mais ces matchs ramenèrent du public, donc de l’argent, et tout cela profita aux joueurs qui en rajoutaient.

La finale 1925 entre Catalans et Languedociens, Perpignan Carcassonne, fut un combat, sur le terrain comme dans les tribunes.

Celle de 1926, Perpignan-Stade toulousain, ne fut pas mieux.   Peu importaient les explications, une chose était sûre: le rugby de ces années-là était une école de haine.

En 1929, la finale opposait deux équipes languedociennes, « des fiers gars des Corbières ». D’abord Lézignan: l’équipe s’était qualifiée en massacrant Béziers. « Massacrer» est le terme exact, car les Biterrois, qui n’avaient jamais eu une réputation de fleurs bleues, ont à un moment refusé de jouer tant les coups pleuvaient. Ils refuseront après de rencontrer Lézignan qui sera d’ailleurs exclu du championnat, puis réintégré aussi sec devant les hurlements languedociens: la fédération n’avait aucune autorité.

 

Professionnalisme.

L’argent n’a pas aidé à calmer les esprits. Le premier club professionnel au monde a été inventé par un petit village de l’Aude : Quillan

Une étrangeté que cette US Quillan: Jean Bourrel, industriel chapelier, avait payé des « mercenaires », principalement des Perpignanais, pour monter une grande équipe de professionnels dans son village.

À l’époque, pour attirer un bon joueur, on lui promettait un café tabac, un bon boulot chez le président du club, ou on s’arrangeait avec EDF ou les Postes, toutes pratiques encore en vigueur d’ailleurs.

Mais l’US Quillan est une équipe pro, une vraie, la première. C’était d’ailleurs plutôt une bonne équipe: elle était composée d’internationaux (et de quelques brutes également), et pouvait aussi bien jouer de beaux matchs que d’horribles (en particulier contre son ennemi, Perpignan).

C’était même une très bonne équipe adepte du beau jeu et ce premier professionnalisme apportait finalement une bouffée de rugby frais dans le Languedoc.   Quillan allait gagner cette finale, mais, comme prévu, tout cela se finit en bagarre générale.   Quillan perdit la suivante en 1931 contre Agen, et celle-ci fut de toute beauté. Mais c’était trop tard: ce championnat haï des Britanniques avait déjà entraîné l’exclusion de la France.

Le résultat fut net: le rugby français privé de rencontres internationales dépérit dans les années 30 au niveau des clubs.   Mais les Français, avec une admirable constance, reproduiront exactement les mêmes comportements dès que les Anglais, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les réintégreront…

 

Extrait de “L’Histoire Passionnée du Rugby” de Romain Allaire, Jean-Pierre Gonguet et Olivier Villepreux.